La Bouquinerie

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Couverture de l'Histoire de l'Ardèche

Zoom sur
Histoire de l'Ardèche
Vivarais & Helvie.
Jean Volane (Auguste Bourret), L. Gout, J. Roux

Recomposition (texte original de 1908, illustration moderne). 16 x 24 cm. 160 pages. Couverture pelliculée en couleurs. Nombreux documents, gravures... 95 FF
L'histoire de ce département successivement nommé Helvie, Vivarais puis Ardèche. Fait au départ pour des enfants, ce livre admirable explique dans les grandes lignes l'aventure étonnante de cette région de France.


L'Helvie

Carte de l'Helvie (gravure)

Dolmen (gravure)

Bas-relief de Mithrâ (gravure)

Le milliaire de Rochemaure (gravure)

Cathédrale de Viviers (gravure de Jean Chièze)

Notes de la première partie

Le Vivarais (extrait)

Silhouette de ville féodale (Aubenas) (gravure)

Pavé mosaïque de Cruas (l'an Mil) (gravure)

Carte du Vivarais (gravure)

Note de la deuxième partie


L'Helvie

I. - L’Helvie, province gauloise

Limites. - Le département de l’Ardèche1 qui s’est appelé d’abord Helvie, a conservé à peu près ses limites naturelles du Rhône et des Cévennes, depuis l’antiquité la plus reculée, quels que soient les maîtres qu’il ait subis.

La Gaule était habitée par les Ibères et les Ligures, [refoulés par les Celtes vers le Xe siècle avant J.-C., les premiers du côté de l’Espagne et les seconds du côté de l’Italie], enfin par les Celtes ou Gaulois. Plus au nord, s’établirent les Belges (Celtes et Germains mélangés). Il convient d’ajouter à ces peuples les colonies grecques des bords de la Méditerranée. Les Helviens faisaient donc partie de la Gaule Celtique, au temps de Jules César.

Carte de l'Helvie

Strabon2, dans sa géographie, dit que le Rhône limitait l’Helvie à l’est, la séparant des Cavares (Drôme), et des Allobroges (Isère). Au nord, les Helviens limitaient avec des Conderates (peuplades de Condrieu), à l’ouest avec les Vellaves (Velay) et les Gabales (Lozère), au midi avec les Volces Arécomiques (Gard).

Époque préhistorique. - Les traces de nos plus lointains ancêtres se retrouvent dans le sol des cavernes naturelles et des abris sous roche de certaines régions, mélangés à des ossements d’ours, de renne, de cheval, etc., animaux qui servaient à leur nourriture.

La race la plus ancienne des ces troglodytes (habitants des cavernes) se servait d’armes en silex éclaté. Son époque est appelée âge de la pierre taillée. Elle a séjourné dans les grottes calcaires qui se trouvent entre Châteaubourg et Soyons, et venait sans doute du nord.

Plus tard, une autre race plus civilisée a descendu la vallée du Rhône et est allée fonder une première cité dans les balmes de Montbrun, puis établir de plus petites agglomérations dans les cavernes qui bordent la basse vallée de l’Ardèche : à Naves, Casteljau, Labégude, Ucel, Bidon, St-Remèze, St-Marcel d’Ardèche, St-Honoré, etc. Ces nouveaux venus se servaient d’armes et d’outils en pierre assez finement travaillée, polie patiemment. L’âge de la pierre polie a surtout laissé des traces chez nous le long du Chassezac et de l’Ardèche.

Outre les haches, pointes de flèches, grattoirs, aiguilles, etc., en silex, en jade, en serpentine, etc. et des débris de poteries grossières qu’on retrouve en retournant le sol des cavernes, les hommes de ces époques éloignées nous ont laissé des témoins plus importants de leur passage, de vrais monuments dits monuments mégalithiques, (c’est-à-dire faits de grandes ou grosses pierres) ; ce sont par exemple : les Cromlechs, pierres disposées en rond ; les Menhirs, pierres plantées ; les Peulvens, pierres en équilibre et les Dolmens.

Dans l’Ardèche, si les Cromlechs, les Menhirs et les Peulvens sont très rares, les Dolmens en revanche sont encore très nombreux.

On rencontre çà et là dans la région calcaire, surtout aux lieux les plus agrestes, dont l’aspect primitif n’a pas été bouleversé par le marteau ou la charrue, d’énormes blocs de pierre brute, dressés et fichés en terre, isolément ou par groupes régulièrement alignés. On les voit semés dans la forêt de Louol, sur les collines arides qui séparent Saint-Remèze et Vallon, dans les bois de Lagorce, entre Lussas et Lavilledieu. Au-delà de l’Ardèche, ils forment une ligne continue qui traverse tout le plateau rocailleux appelé les Gras de la Beaume, pour aboutir au bois féerique de Païolive. On en trouve beaucoup dans le voisinage de Berrias, à Lalauze, au Pouget.

Dolmen

M. de Malbosc3, dans sa notice sur les Dolmens du Vivarais, en indique 5 assez rapprochés les uns des autres à Lalauze, 11 près du Pouget, 2 à la Roche de Chandolas, 6 à Bourbouillet, 2 au Bouchet, 5 à la Serre, 9 à Dugon et 25 qui se suivent sur un espace de 3 kilomètres de parcours, le long du chemin de Saint-Alban à La Blachère.

Partout, ces blocs, sur lesquels le ciseau n’a pas marqué la plus légère empreinte, affectent des dimensions cyclopéennes : il en est qui mesurent jusqu’à six mètres de long sur trois de large. On se demande avec étonnement, comment nos ancêtres ont pu transporter de pareilles masses à des distances parfois considérables des gisements d’où on les a extraites.

Frappé du nombre et de la grandeur des difficultés vaincues, l’imagination populaire en a fait l’honneur à une race de géants qui auraient habité nos montagnes. De là, vraisemblablement, l’origine du nom de Jaïandes, (pierres ou tombes de géants), que les paysans de l’Ardèche méridionale donnent aux dolmens de la contrée, qu’ils appellent aussi oustalets de las fados (maisonnettes des fées).

Les dolmens étaient de véritables tombeaux ; tels que celui de la Roche, près de Chandolas, et ceux qui sont disséminés sur le vaste plateau qui s’étend de Champ-Vermeil à Bidon. Devant l’entrée même du dolmen, étaient plantées deux pierres droites isolées que les pâtres appelaient Plourouses. C’étaient en effet des pleureuses ou menhirs, témoins muets, laissés là pour marquer l’emplacement de quelque sépulture du désert. Les ossements et les objets découverts en cet endroit furent envoyés au Muséum d’histoire naturelle à Paris.

Quelques-uns de nos plus reculés ancêtres ont habité des cités lacustres, bâties sur pilotis, non loin des rives de nos lacs et dans des lônes du Rhône.

Les Helviens. - Au commencement de la période historique, le territoire, dont nous avons fixé plus haut les limites, était occupé par les Helviens.

D’après César, les Helviens se faisaient remarquer par une intrépidité aventureuse, qui ne tenait compte ni du jour, ni de l’heure fixés pour l’entrée en campagne et qui devançait le signal du combat par la brusque vivacité de l’attaque. Leurs principales occupations étaient la chasse et l’agriculture. Ils ne s’initièrent aux découvertes de l’industrie que lorsque les Grecs eurent fondé Marseille (Massalia), 600 ans avant Jésus-Christ.

Les Massaliotes créèrent des comptoirs dans l’Helvie, (Baix, par exemple), et établirent une route qui, de la Méditerranée à travers les Cévennes, allait rejoindre le point où la Loire est navigable.

Le pouvoir appartenait aux druides et aux nobles. La multitude s’attachait comme clients4 à la classe privilégiée.

II. - L’invasion Romaine

Défaite des Arvernes et des Helviens. - Au point de vue militaire, les Helviens faisaient partie de la Ligue fédérative des Arvenes. Lorsque les Romains envahirent le territoire des Allobroges, l’Helvie, située en bordure du Rhône, fut désignée comme le lieu de concentration des forces gauloises, que des auteurs évaluent à 200 000 hommes commandés par Bituit, roi des Arvernes. C’est au confluent de l’Isère que Bituit traversa le Rhône, à l’aide d’un pont de bateaux et d’un pont sur pilotis dont les restes se voyaient encore en 1530, au-dessus de Mauves. A la vue des Romains qui étaient au nombre de 30 000, Bituit s’écria : « Et quoi, ce n’est pas même pour un repas de mes chiens ! »

Défaite des Gaulois. - « Le premier choc des Gaulois fut terrible, et la mêlée fut affreuse. Pendant assez longtemps le combat se soutint avec acharnement et avec un succès égal. Mais trop resserrées entre le fleuve et les positions romaines, s’embarrassant elles-mêmes par leur nombre, les troupes de Bituit commencèrent à lâcher pied. Fabius qui s’aperçut de ce mouvement d’hésitation en profita pour faire charger les éléphants. La vue de ces animaux presque inconnus des Gaulois, porta l’épouvante et la confusion dans les rangs et détermina la déroute. Aussitôt fantassins et cavaliers se précipitèrent vers les ponts pour gagner le territoire helvien. Construit sans solidité, le pont de bateaux se rompit sous la masse des fuyards. La foule alors reflua vers l’autre pont qui était insuffisant pour donner passage à cette multitude en désordre. Cent vingt mille hommes, dit-on, périrent dans cette défaite (121 avant Jésus-Christ). Pour perpétuer le souvenir de cette victoire, Fabius fit élever sur le champ de bataille une tour en pierre blanche, surmontée d’un trophée où figuraient les armes des diverses tribus gauloises qu’il avait vaincues. Il édifia aussi un temple à Mars et un autre à Hercule. Delichères et Boissy d’Anglas disent que ces monuments s’élevaient à Désaignes » (Rouchier).

L’Annexion à Rome. - Le territoire des Allobroges et l’Helvie furent annexés à la Province romaine et Bituit fut emprisonné à Rome. Les Helviens ne payèrent aucun tribut et ne perdirent aucune partie de leur territoire, mais ils furent détachés de la confédération des Arvernes et englobés dans la Province romaine (plus tard dans la Narbonnaise) tout en conservant leur autonomie.

A cause de ce respect des libertés helviennes et en raison de l’amitié qui liait l’Helvien Valérius Porcillus à Jules César, notre pays ne répondit pas à l’appel de Vercingétorix. Il demeura attaché à la fortune de César qu’il considérait comme son bienfaiteur.

Jules César traverse l’Helvie. - En 52 avant J.-C. (ou l’an de Rome 702) malgré le froid rigoureux, César se mit en marche avec toutes ses troupes, franchit la chaîne des Cévennes, en s’ouvrant un chemin à travers la neige et tomba comme la foudre au milieu des Arvernes.

Les historiens diffèrent sur le point de savoir quel itinéraire suivit César pour se rendre en Auvergne. Les uns le font passer par la vallée du Chassezac et Villefort, d’autres par Tournon, Désaignes et St-Agrève, d’autres encore par Vals, Antraigues et Mézillac. Mais la voie la plus directe et la plus plausible qu’il aurait suivie est la suivante, indiquée par plusieurs auteurs : César serait parti d’Alba Helviorum et aurait débouché dans la plaine d’Aubenas par Lussas, Jastres et l’Echelette et aurait escaladé le plateau central par Montpezat et le Pal.

Et après la victoire, les chefs helviens qui avaient partagé avec César les fatigues et les périls de la guerre, entrèrent au Sénat ; les vétérans helviens enrôlés dans la légion de l’Alouette obtinrent les droits des bourgeois romains.

III. - Alba, capitale romaine

Son importance. - Auguste, fils adoptif et successeur de César, fonda Alba Helviorum, la capitale des Helviens. L’antique Alba construite près de la bourgade actuelle, couvrait une surface de 4 à 5 kilomètres carrés et avait une population évaluée à 40 000 habitants. Auguste l’embellit si bien qu’Alba fut élevée au même rang que Vienne, Avignon, Nîmes et Aix, villes latines. Ses habitants avaient la faculté de s’administrer eux-mêmes, de nommer leurs magistrats et leur sénat, de ne payer que l’impôt dû par les citoyens romains et de voter dans les comices5. Les Romains construisirent des thermes, un forum, un cirque, un théâtre, le palais de la Curie6, des temples dédiés à Mercure et à Auguste. Alba eut un collège de prêtres et connut une ère de grande prospérité sous les règnes d’Adrien et des Antonins (96 à 192). Le principal commerce de la Cité était celui des vins.

Pline rapporte qu’il y avait à Alba Helviorum un plant de vigne qui fleurissait en un seul jour et pour cela très sûr, si bien que toute la Narbonnaise le cultivait (Histoire Naturelle XIV, chap. IV). Amédée Thierry dit que le vin d’Alba était cité avec honneur par Coulumelle7. Il est à remarquer que le personnage le plus important d’Alba dont le nom soit parvenu jusqu’à nous, est un marchand de vins, Minthatius Vitalis, établi à Lyon et sénateur de la capitale helvienne. Il existe au palais St-Pierre à Lyon, un monument qui témoigne des honneurs rendus à Vitalis. L’inscription latine qu’elle porte peut être ainsi traduite :

« A Minthatius Vitalis, fils de Marcus, marchand de vin résidant à la Canebière de Lugdunum, nommé deux fois curateur de cette corporation et une fois quinquennal des nautes de la Saône, patron de leur corporation, patron des chevaliers romains, appelé par l’ordre splendissime de la cité d’Alba à siéger dans son sein, - les marchands de vin résidant à la Lugdunum, à leur patron. »

Le paganisme dans l’Helvie. - Le druidisme était répandu dans l’Helvie comme dans toute la Gaule. César et Auguste, ne lui furent nullement hostiles ; mais Tibère, Claude et Néron, poursuivirent les druides et les firent périr par milliers, car ces prêtres poussaient les Gaulois à la révolte. Le culte proscrit ne se maintint que dans les campagnes où il gardait des racines profondes.

Les nobles Gaulois ambitieux, avides de biens et de distinctions, épris des arts et de la civilisation romaine, se laissèrent facilement entraîner vers le paganisme romano-grec qui disposait de la fortune et des faveurs.

Jupiter eut à Viviers un temple, dont l’emplacement a gardé le nom de Planjoux (Planum Jovis), un autre sur les hauteurs de Largentière. Un sanctuaire dédié au dieu Mars s’élevait à Bourg-St-Andéol. Cybèle était honorée d’un culte particulier à Soyons. Il en était de même pour le dieu du soleil Apollon, dans le petit bourg de Luminis (Limony), Diane eut un temple à Désaignes et Mercure était adoré à Alba. Mais le culte devant lequel s’effacèrent les hommages rendus à Mercure et aux autres dieux fut celui d’Auguste lorsque la flatterie, du vivant même de ce prince, lui eut décerné les honneurs de l’apothéose8. Alba dédia son magnifique temple du mont Juliau au divin Jules César et à Auguste.

Le culte de Mithrâ. - Depuis qu’il était entré dans la voie des apothéoses, le polythéisme9 romain semblait se fondre de plus en plus en un seul culte : celui d’Auguste et des empereurs, culte de flatterie plutôt que de religion. Le vieux paganisme acheva d’y perdre ce qui faisait sa force.

Tandis qu’on divinisait Claude ou Néron au sénat, on fouettait Jupiter sur la scène, aux applaudissements de la multitude. Or, au milieu de la décadence universelle des dieux et dans le discrédit total du culte officiel, les esprits inquiets cherchaient le repos dans les mystérieuses doctrines de l’Orient. De là l’entraînement surprenant qui se produisit à cette époque vers les cultes étrangers de Mithrâ et d’Isis.

Bas-relief dédié à Mithra
Bas relief dédié à Mithra.

Le culte de Mithrâ avait été apporté de Perse par Pompée ; la grande vogue dont jouirent ses mystères, date du règne des Antonins (96 à 192). Les nombreux monuments mithriâques répandus dans l’empire romain, prouvent combien le culte de la divinité persane était pratiqué. Parmi ces monuments, l’un des plus remarquables est celui qui existe près de la belle fontaine de Tournes à Bourg-Saint-Andéol. C’est un bas-relief, sculpté sur la paroi d’un rocher calcaire, mesurant 1,85 m de haut sur 1,25 m de large. Au-dessous, un cartouche contient une inscription latine dont voici le sens :

« À la divinité de Mithrâ, au Soleil très grand. Titus Furius Sabinus a dédié cette image du Dieu Invincible, qu’il a fait faire à ses frais. »

Voies romaines de l’Helvie. - Trois grandes voies romaines partaient d’Alba et rayonnaient sur tout le territoire de l’Helvie. Sous le règne d’Adrien et de ses successeurs, bienfaiteurs de la Narbonnaise, le réseau des voies de communication fut complété par des voies secondaires. Sur les bords de ces routes, des bornes étaient placées, marquant la distance en Milles d’un cité à l’autre et appelées colonnes milliaires.

La première voie romaine débouchait dans la vallée du Rhône par la vallée de Mélas. En sortant d’Alba, elle était bordée d’une double ligne de monuments funéraires, car d’après les lois romaines, il était interdit d’enterrer ou de brûler les corps dans l’intérieur des cités. De Mélas, une voie descendait le Rhône en passant par Viviers (Vivarium), le Bourg (Bergoaïata), Saint-Just (Légernate), et après avoir franchi l’Ardèche, passait dans le Gard. Pour abréger la distance qui sépare Alba de Bourg-Saint-Andéol, on traça une deuxième voie qui passait par Valvignères, Gras, le plateau désert de Saint-Vincent et la forêt de Loùol.

 

Milliaire de Rochemaure
LE MILLIAIRE DE ROCHEMAURE

Un deuxième embranchement remontait le Rhône par Cruas, Baix (Batiana), Soyons (Soionus), Tournon, Arras, Limony (Luminis) et gagnait Lyon (Lugdunum), par Condrieu et Ampuis. Cette voie était reliée à Valence et à Vienne. Elle fut construite sous le règne d’Agrippa pour mettre en relations Lyon avec Nîmes et Narbonne.

De Tournon, partait une route destinée à relier la vallée du Rhône au Velay (Pays des Vellaves). Elle passait par Lamastre, Désaignes (Disania), où la civilisation romaine a laissé l’empreinte de sa grandeur. On y a trouvé des marbres, des monnaies, des urnes, des restes de thermes, les ruines d’un temple païen. La voie gagnait le haut plateau par Saint-Agrève (Chinacum) et Montfaucon (Haute-Loire). Elle permettait d’aller directement du Puy à Vienne, à Valence et en Italie à travers les Alpes. Un port très important, Musolis (St-Jean-de-Muzols), fut établi à l’embouchure du Doux par les nautes (ou mariniers) du Rhône. C’est de ce port que les marchandises partaient vers le Haut-Vivarais, le Velay et l’Auvergne.

De Baix, partait une voie qui passait par Alissas (ruines d’une villa romaine) et aboutissait à Privas. De Privas on allait au Cheylard et à Saint-Agrève par deux chemins : l’un qui passait par le col de l’Escrinet, la Fayolle, Mézilhac, Dornas ; l’autre par Lyas, les Ollières, Chalancon et aboutissait à Désaignes.

La troisième grande voie qui partait d’Alba côtoyait le Coiron, passait à Lussas, descendait les dures rampes de l’Échelette et arrivait à Aubenas (Albenates), un des centres les plus populeux et les plus riches de l’Helvie.

Cette voie romaine se divisait en plusieurs embranchements.

Le premier passait par le Pont-de-Labeaume, se dirigeait sur Montpezat d’où l’on arrivait sur le haut plateau par deux routes : celle du Pal, le Béage, et celle du Roux, Pradelles. On a découvert au Roux, quantité de statuettes en bronze de divinités païennes et les murs d’un bâtiment antique.

Le deuxième embranchement atteignait Villefort par Rosières et Lablachère et la voie de l’Allier par Montselgues et Saint-Laurent-les-Bains10.

Le troisième embranchement descendait le cours de l’Ardèche par Salavas et arrivait à Uzès par Vagnas.

A part quelques modifications de détail, les routes modernes et les chemins de fer ardéchois n’ont fait que suivre les voies romaines.

IV. - Le Christianisme dans l’Helvie

Son introduction. - Les premiers martyrs. - Le Christianisme fut prêché dans l’Helvie, au IIe siècle, par le sous-diacre Andéol, appelé de Smyrne par saint Irénée, archevêque de Lyon. Au moment où l’empereur Septime Sévère lançait son édit contre les chrétiens, (201), Andéol prêchait à Bergoaïata (Bourg-Saint-Andéol) l’une des agglomérations les plus importantes de l’Helvie. Sévère s’arrêta dans cette ville en se rendant à Valence et y fit supplicier Andéol, (208). Le corps, jeté dans le Rhône, alla échouer sur la rive gauche. Tullie, dame riche et de noble condition, fit enlever le corps par ses domestiques et le fit déposer dans un sarcophage qui a été découvert en l’an 858.

Les sacrifices tauroboliques. - Le paganisme était encore puissant et c’est pour lutter contre le développement du Christianisme qui se multipliait dans nos contrées, que des sacrifices tauroboliques eurent lieu notamment à Soyons, à Saint-Laurent-sous-Coiron, à Die. Amédée Thierry, dans son Histoire de la Gaule sous l’Administration romaine, tome II, nous fait une peinture pittoresque d’un de ces sacrifices.

« On creusait à l’avance une fosse large et profonde qui était recouverte d’un plancher solide à claire voie. C’était là que devait s’accomplir le sacrifice. Le jour venu, un superbe taureau était conduit, au son des instruments sacrés, entouré de guirlandes de fleurs, au-dessus de la fosse pour y être immolé. En même temps, le prêtre sacrificateur se dirigeait vers l’entrée à pas lents, la tête ceinte d’une couronne d’or orné de bandelettes blanches et drapé dans une toge de soie. Parvenu sous le plancher, il s’y tenait debout, les bras étendus et donnait le signal de l’immolation. Aussitôt le sang du taureau s’échappait à flots sous le couteau victimaire et retombait tout à l’entour en vapeurs brûlantes. Pour accomplir dans son entier le rite de Cybèle, pour donner à l’acte expiatoire toute sa vertu, il fallait que le prêtre exposât à l’horrible pluie son front, ses joues, ses lèvres, ses narines, que ses vêtements en fussent imbibés, que tout son corps en fût saturé.

» Sortant alors de la fosse dans l’état le plus hideux, mais salué par les cris de l’assistance, adoré de loin comme un dieu, il regagnait le temple, où l’on conservait religieusement sa dépouille ensanglantée, gage assuré, croyait-on, du pardon des dieux. »

Il paraît, par l’inscription qui consacre le souvenir du Taurobole offert à Die, que quatre prêtres au lieu d’un, furent désignés parmi toute une nombreuse assistance de prêtres pour recevoir le sang de la victime. Castricus Zozimion d’Alba était un de ces quatre prêtres.

Développement du Christianisme. - Le Christianisme se répandait cependant de plus en plus dans l’Helvie, grâce sans doute à des missionnaires envoyés par les églises voisines.

La Haute Helvie, au nord du Doux, fut évangélisée par les prêtres envoyés par l’archevêque de Vienne. La rive droite du Rhône, entre le Doux et le Rhône, fut convertie par les missionnaires venant de Valence ; l’arrière-pays dans cette région fut gagné à la nouvelle religion par le envoyés de l’évêque du Puy. Enfin, l’archevêque d’Arles fit évangéliser le midi du Vivarais. C’est pourquoi pendant très longtemps, des parties du Vivarais dépendirent, au spirituel et même souvent au temporel, des archevêchés de Vienne et d’Arles et des évêchés de Valence et du Puy.

Puis, quand notre pays compta un assez grand nombre de communautés chrétiennes, un évêque, Januarius (saint Janvier) vint se fixer à Alba (vers l’an 250). Son nom, ainsi que celui de quelques-uns de ces successeurs, fut retrouvé en 951, sur des pierres, noircies par les flammes, provenant sans doute de l’église cathédrale d’Alba, détruite en 411.

V. - Destruction d’Alba

Les envahisseurs germains en Helvie. - C’est sous saint Avolus, le cinquième évêque d’Alba, que la capitale de l’Helvie fut pillée et incendiée par Chrocus, roi des Vandales, en 411 et totalement anéantie par les Goths et les Alains qui, pendant dix ans, ravagèrent la contrée. « Rien n’a résisté à la fureur des barbares. Ils n’ont rien épargné, ni le sacré, ni le profane, ni la faiblesse du sexe, ni celle de l’âge : peuple, prêtres, vierges, évêques, tout a été frappé sans distinction, envoyé au supplice ou conduit en esclavage. Les moissons, les vignes, les oliviers ont péri dans les flammes. Les ronces et les épines effaceront bientôt la trace de tout ce qui a vécu. Quand tout l’Océan aurait inondé les Gaules, il n’aurait pas commis de si terribles ravages. » (saint Prosper11)

Aujourd’hui, l’emplacement de l’antique Alba est occupé par des champs plantés de mûriers et de vignes et rien ne désignerait cette plaine à l’attention du voyageur si ce n’étaient les innombrables débris de toutes sortes, que les propriétaires ont accumulés au bord de leurs champs. Il suffit de creuser un peu le sol çà et là, pour découvrir des pavés, des dalles, des autels, des armes, des colonnes de marbre, des fragments de statues, des pièces de monnaies ou des objets mobiliers. Beaucoup des pièces d’or et d’argent trouvées en ces lieux sont à l’effigie des Antonins. L’emplacement d’Alba a fourni un grand nombre de pièces archéologiques au musée d’Avignon (musée Calvet) et à celui du Puy.

Les maisons d’Alba, l’église dans laquelle se trouve un tableau de Parrocel12, ont été construites avec les matériaux arrachés à l’antique cité. Plusieurs particuliers ont vendu les tuyaux en plomb qui amenaient les eaux du Coiron aux thermes d’Alba, ainsi que les plus précieuses de leurs trouvailles. En dehors des collections, il ne reste plus de la splendeur d’Alba que des conduites cimentées, des pans de murs du palais curial à l’extrémité du théâtre, dont on pouvait voir encore, il y quelques années, les portes latérales de sortie. Des fouilles méthodiques mettraient encore au jour de grandes richesses archéologiques et peut-être la fameuse chèvre d’or qu’une tradition locale dit être enfouie dans les décombres d’Alba Helviorum.

Viviers, capitale de l’Helvie. - Après la destruction d’Alba (411), le siège de l’église helvienne fut transporté par l’évêque Auxonius à Vivaria (Viviers), qui donna son nom à notre province.

Cathédrale de Viviers
Cathédrale de Viviers


Notes de la première partie

  1. L’Ardèche a en moins le canton de Pradelles (Haute-Loire) et en plus le canton des Vans (qui dépendait jadis de l’Uzégeois).
  2. Strabon, célèbre voyageur et géographe grec, né vers 50 avant J.-C. et qui vivait encore sous Tibère, dans les premières années de l’ère chrétienne.
  3. Jules de Malbosc, de Berrias (1782-1867), fut un savant naturaliste qui étudia et décrivit la constitution géologique du Vivarais. Il a légué ses Collections (Musée Malbosc à Privas) au département.
  4. Clients : gens du peuple qui dépendaient d’une riche famille.
  5. Comice : assemblée du peuple romain pour élire les magistrats.
  6. Curie : lieu où siégeait le Sénat.
  7. Coulumelle : agronome latin du 1er siècle.
  8. L’apothéose consistait à prononcer la déification d’un souverain qui, vivant ou mort, était désormais adoré comme un dieu, avait ses temples, ses prêtres, ses sacrifices, etc.
  9. Le polythéisme est l’adoration de plusieurs dieux à la fois.
  10. Les stations balnéaires les plus fréquentées des Romains dans l’Ardèche furent Saint-Laurent-les-Bains, Neyrac et Désaignes.
  11. Saint Prosper (403-463), chroniqueur aquitain, prêtre de Marseille.
  12. Parrocel, peintre français, 1646-1704.

Le Vivarais (extrait)

I. - Le Vivarais sous les Barbares

Les envahisseurs. - Après avoir appartenu à la Narbonnaise, l’Helvie faisait partie de la province Viennoise lors de l’invasion des barbares. La hiérarchie du clergé chrétien s’était calquée sur l’administration civile romaine. Les évêques de Viviers dépendirent ensuite d’Arles, archevêché qui avait détrôné Vienne et avait mérité le titre de Rome Gauloise.

Le Vivarais placé entre les Wisigoghs établis dans le bassin de la Garonne, les Burgondes et les Alains au nord, devint le champ de bataille de ces peuples barbares.

Les Wisigoths possédèrent le Vivarais pendant 13 ans, ainsi que le démontre une inscription trouvée à Viviers et portant le nom d’Alaric, le vaincu de Vouillé.

Aux maux de la guerre s’ajoutèrent à cette époque des calamités de toutes sortes : tremblements de terre, phénomènes volcaniques, etc. (vers 470).

Les Francs. - Après la défaite et la mort d’Alaric II, roi des Wisigoths à Vouillé (507), le Vivarais fut occupé et pillé par les Francs, qui de temps en temps vinrent y faire des razzias.

Il appartint ensuite aux Burgondes. Puis il revint aux Francs et fit partie des possessions méridionales du royaume de Metz, à Thierry, puis à Theodebert, fils et petit-fils de Clovis.

Il suivit plus tard le sort de l’ancien royaume des Burgondes. Il fit partie du royaume d’Austrasie, du royaume de Burgondie, du royaume unique des Francs, etc., suivant les partages du sol et les vicissitudes des familles royales issues de Clovis, puis de Clotaire.

Vers 673, le Vivarais fut saccagé par les Wisigoths d’Espagne, qui possédaient encore la Septimanie (Narbonne, Nîmes, etc.).

Les Arabes. - En 711, les Arabes s’emparèrent de l’Espagne ; poussant plus au nord, ils conquirent en 719 la Septimanie.

En 725, une armée sarrasine, commandée par Ambessa, prit Carcassonne, Nîmes, remonta le Rhône et saccagea Lyon, Mâcon, Autun, Luxeuil, puis Vienne. Ambessa ayant été tué en Provence, son armée revint en Septimanie.

En 732, Charles-Martel arrêta une nouvelle invasion arabe par sa victoire de Poitiers sur l’émir Adb-el-Rahman. Puis il envahit la Bourgogne, descendit la Saône et le Rhône, jusqu’à la Durance, en reprenant aux Sarrasins nombre postes fortifiés (Sarras, Tournon) et en pillant tout le pays (733). Une colonie sarrasine resta fixée à Balazuc dont la population a conservé le type arabe.

Les Provençaux, par crainte des Francs, firent alors appel à Yousouf, émir de Narbonne. Celui-ci accourut, s’empara d’Arles, d’Avignon, puis saccagea Viviers, Valence, Vienne et Lyon, en occupant le pays des deux côtés du Rhône.

Mais, en 737, Charles-Martel refoula les Arabes, leur reprit Lyon, Vienne, Avignon et alla assiéger inutilement Narbonne et saccager la Septimanie.

Charles-Martel établit alors dans le pays quelques-uns de ses leudes les plus habiles, pour le gouverner et le défendre. Mais ceux-ci exploitèrent cruellement la contrée, pillèrent les églises et les monastères et opprimèrent le peuple qui en arriva à regretter les Sarrasins.

L’Église sous les barbares en Vivarais. - Chez nous, comme ailleurs, le clergé s’était montré le défenseur des faibles et des opprimés, le représentant de la civilisation contre les barbares oppresseurs.

Cette conduite lui valut une grande considération et lui attira d’importantes donations. Certains évêques, issus de grandes familles gallo-romaines, léguèrent leurs biens à l’évêché de Viviers. Leur exemple fut suivi par d’autres personnes généreuses. Le riche Aginus donna la vallée de Valgorge, l’église de Saint-Martin et les montagnes du Tanargue jusqu’à Borne. Anthérius donna son palais bâti sur les bords de l’Ardèche à Albenates (Aubenas). Secundus, l’église de Saint-Victor et tout le terroir compris entre le Rhône, l’Escoutay, le territoire d’Alba et le Coiron.

L’évêché de Viviers possédait au VIIIe siècle, d’après le père Columbi, 64 villas, des milliers d’esclaves, plusieurs îles du Rhône, de vastes et fertiles vignobles, 790 colonies de terres labourables et une étendue plus considérable en forêts et en pâturages.

Les derniers païens. - Dans la deuxième moitié du VIIe siècle, il y avait encore des païens dans nos montagnes. L’évêque du Puy, Agrippanus ou Agrève, ayant détruit une idole à Chinacum, fut martyrisé par les gens du lieu ; ceux-ci, du reste, se convertirent peu après au Christianisme et donnèrent le nom de leur victime à leur village, qui s’appela Saint-Agrève.

II. - Le Vivarais sous les Carlovingiens

L’administration locale. - Lorsque Charlemagne réorganisa son empire et créa les duchés et les comtés, ces derniers eurent l’étendue des diocèses ecclésiastiques.

Le Vivarais forma un comté et deux fractions de comtés : le comté du Vivarais, renfermé dans les limites du diocèse de Viviers, une fraction du comté de Valentinois correspondant à la partie du diocèse de Valence, comprise entre l’Eyrieux et le Doux, enfin une fraction du comté du Viennois au-dessus du Doux.

Le comte dépositaire du pouvoir de l’empereur n’avait qu’un pouvoir viager1 et révocable. Il était chargé de l’administration de la justice rendue par lui et par des fonctionnaires subalternes appelés Viguiers.

Ces viguiers avaient sous eux des magistrats inférieurs appelés centeniers.

Dans les assemblées solennelles que les missi dominici tenaient dans les provinces une fois par an, l’évêque de Viviers était appelé à siéger et à donner son avis au même titre que le comte.

Carte du Vivarais

La charte de Louis le Débonnaire octroyée en 815 à Aix-la-Chapelle aux évêques de Viviers, accordait à ceux-ci des exemptions de charges fiscales, des faveurs spéciales et une sorte d’indépendance vis-à-vis de l’administration civile, ce qui devait détruire le pouvoir des comtes du Vivarais. Le premier comte fut Eribert. Il fonda l’abbaye de Cruas, sur la voie romaine qui allait d’Alba à Valence et combla de bienfaits cette région.

III. - Le Vivarais sous les rois de Provence

Le Vivarais, partie de la Lotharingie. - Au traité de Verdun (843), le Vivarais entra dans la Lotharingie, parce qu’il constituait des dépendances de Vienne, Valence et Arles, cités comprises dans le territoire assigné à Lothaire. A la mort de Lothaire (855), le Vivarais fit partie du royaume de Provence.

Les Normands en Vivarais. - Dès 859, les Normands remontèrent le Rhône et saccagèrent plusieurs villes. Ils s’établirent à demeure dans la Camargue.

En 862, ils pillèrent et ravagèrent la majeure partie du royaume de Lothaire II qui, « fit lever sur chaque manoir 4 deniers, dont, sous le nom de loyer, il paya aux Normands une somme d’argent avec un tribut annuel de beaucoup de farine, de brebis, de vin et de bière. »

Notre pays les vit encore passer en 863 et en 864, quand ils arrivèrent jusqu’à la cité d’Auvergne, par le Rhône.

Le Vivarais sous les rois d’Arles ou de Provence. - Lorsque Charles-le-Chauve se fut constitué sans droit l’héritier de son neveu Lothaire II et eut obtenu la soumission de Vienne, il donna en fief, le Dauphiné et le Vivarais à Boson, son beau-frère (870), avec le titre de duc.

Le duc Boson fut proclamé roi de Provence par un concile réuni à Mantaille, près de Vienne, en 879. Son royaume comprenait la Provence, les comtés de Lyon, de Vienne, de Mâcon, de Châlons, la Franche-Comté, la Savoie et les diocèses de Viviers et d’Uzès. Louis III et Carloman réunirent leurs troupes à celles de Charles-le-Gros et essayèrent, en 880, de reconquérir les provinces usurpées par Boson.

Après avoir pris Mâcon, ils mirent le siège devant Vienne. Ermangarde, femme de Boson, y commandait, tandis que ce roi, posté dans les montagnes, surveillait les mouvements de l’ennemi et rassemblait les troupes fournies par le Vivarais et la Provence.

Après deux ans de siège, Vienne fut prise et brûlée ; Ermangarde et sa fille furent conduites prisonnières à Autun. Boson leva un corps de troupes dans le Vivarais et envahit l’Auvergne. Il rentra en possession de Vienne qu’il rebâtit et où il mourut en 887, reconnu de tous comme roi de Provence et de Bourgogne et universellement regretté.

Mais personne ne reprit d’abord son titre de roi. L’année suivante le comte de Paris, Eudes, se faisait couronner roi de France (888).

A la même époque, un parent d’Eudes, Rodolphe Welf, comte d’Auxerre, se fit élire roi de la Bourgogne transjurane (Franche-Comté, Bugey, Suisse romande, Savoie). Il régna de 888 à 911.

Mais les seigneurs et le clergé du midi, réunis en concile à Valence, proclamèrent roi de la Bourgogne cisjurane, le fils de Boson, Louis, qui reçut plus tard le surnom d’Aveugle, lorsque son compétiteur à l’empire lui eut fait arracher les yeux, en 901.

Le royaume unique de Provence fut reconstitué en 933 par Rodolphe II (912-937), qui réunit les deux royaumes de Bourgogne sous son autorité.

Sous le règne de son fils, Conrad-le-Pacifique (937-993), le royaume fut envahi par les Hongrois pillards dont le souvenir s’est conservé dans les contes où interviennent les ogres, mangeurs d’enfants.

Rodolphe III le Fainéant (993-1032), fut le dernier roi de Provence. Allemand de cœur et d’éducation, comme son père Conrad, il avait dès 1016, adopté pour héritier, son beau-frère l’empereur Henri II d’Allemagne. Celui-ci étant mort en 1024, Rodolphe légua son royaume à l’empereur Conrad-le-Salique, fils d’Henri II. Conrad, après la mort de Rodolphe en 1032, se fit sacrer roi de Bourgogne à Genève en 1034.

Désormais, le Vivarais fut, nominalement tout au moins, une possession de l’empire d’Allemagne. En réalité, il ne dépendit plus que de l’évêque de Viviers et des seigneurs locaux.

Pendant trois siècles, le Vivarais resta terre d’Empire, avec la Franche-Comté, la Bresse, le Lyonnais, le Dauphiné et la Provence.

Il y eut donc alors deux Frances, comme après le traité de Verdun : à l’ouest, la France royale, où l’on reconnaissait la suzeraineté des successeurs de Hugues Capet ; à l’est, l’ancienne Lotharingie, la France impériale, domaine des empereurs germaniques.

IV. - La Féodalité

Création des fiefs presque indépendants. - Charles-le-Chauve, l’année même de sa mort (877), avait accordé l’hérédité des comtés et des offices. Par le capitulaire de Kiersy, il substituait aux princes de sa race les seigneurs et les comtes comme des héritiers. Aussi Louis-le-Bègue, son fils, reconnut-il qu’il ne tenait sa couronne que de l’élection.

Bientôt les grands vassaux, ducs ou comtes, jusque-là magistrats révocables, las d’obéir à un roi qu’ils regardaient comme leur propre ouvrage, se déclarèrent indépendants et s’érigèrent en souverains héréditaires, chacun dans le pays qu’il administrait.

La France se trouva donc partagée en autant de royaumes qu’il y avait de duchés, de comtés et de seigneuries particulières. Le Vivarais, détaché de la monarchie cinquante ans après la conquête de Charles-Martel, en restera séparé pendant quatre siècles.

Chaque seigneur prétendit exercer en son propre nom comme un droit fixe et perpétuel, la juridiction et l’autorité qu’il ne possédait que d’une manière déléguée et temporaire. Ce droit de justice, qui n’était qu’une usurpation, fut regardé comme la conséquence naturelle du fief.

Au milieu de l’anarchie générale, les ducs et les comtes furent les premiers à usurper les droits régaliens (ou royaux) dans les châteaux, les villes et les provinces dont ils avaient le commandement.

L’ambition et la cupidité armèrent à la fois les petits et les grands seigneurs. On se battit partout et sous les plus légers prétextes. On fit la guerre pour venger une injure privée, pour punir le refus d’hommage d’un vassal, pour s’affranchir d’un droit ou d’une servitude onéreuse ; on combattit pour disputer le péage d’un pont, d’un chemin, d’une rivière.

Toute sécurité disparut. Le faible fut livré à la merci du fort. Pour dormir en paix, chaque seigneur eut besoin de se sentir à l’abri des hautes murailles, dont il avait entouré sa demeure installée en un sombre donjon.

Châteaux-forts. - En 864, au milieu des ravages des Normands, Charles-le-Chauve avait défendu aux seigneurs d’élever des châteaux. Cent ans après toute la France en était couverte.

Silhouette de ville féodale
SILHOUETTE DE VILLE FÉODALE (AUBENAS)

Ces forteresses furent d’un faible secours pour arrêter l’invasion des Normands tandis qu’elles devinrent le principal point d’appui des passions qui bouleversaient la société. Derrière ses murailles, l’audacieux baron bravait tout le monde.

Pour résister aux attaques possibles, les bourgs et les villages, les monastères et les églises furent fortifiés. Notre pays présenta l’aspect d’un immense camp retranché.

Le Vivarais, avec ses gorges et ses montagnes, se couvrit rapidement de châteaux. Les populations quittèrent la plaine pour construire leurs demeures auprès du château. Chaque colline eut une tour, placée en sentinelle, chaque rocher escarpé porta un château-fort.

Séray, Rochefort, Pierregourde, Saint-Alban, Mirabel, Sampzon, le géant des forteresses féodales, Brison, ou la tour du diable, dressaient leurs murs massifs, au point le plus élevé d’une montagne qui dominait au loin sans être dominée. D’autres étaient suspendus comme un nid de vautours sur la corniche des rochers, au bord d’un abîme, comme Crussol, La Tourette, Rochebonne, Rochemaure, Balazuc, Borne, Antraigues, Porcherolles.

Les châteaux de Ventadour, de Tournon, d’Aubenas, de Vogüe, du Pouzin, de Beauchastel, de Vallon, de Salavas, du Teil, commandaient l’entrée d’une vallée ou le passage d’une rivière.

Quelques seigneurs comme Robert de Clérieux, sire de Glun, détroussaient les passants. Les plus honnêtes se contentaient de frapper une contribution sur les voyageurs et les marchandises.

Du Pont-Saint-Esprit à Rochemaure on payait jusqu’à cinq droits de péage aux évêques de Viviers. Les Adhémar de Monteil percevaient le péage jusqu’à Cruas ; l’abbé de Cruas jusqu’au Pouzin ; le prieur de Rompon, jusqu’à La Voulte ; les comtes de Valentinois, jusqu’à Châteaubourg ; les seigneurs de Tournon, jusqu’au confluent du Doux ; les comtes d’Albon, jusqu’à Champagne et les sires de Roussillon, jusqu’à Serrières. Le commerce était donc fort entravé.

La société féodale - Au-dessous des bénéficiers ou nobles, il y avait quatre classes dans la société : les hommes liges, les serfs de corps, les serfs de main-morte et les vilains.

Les hommes libres, qui avaient sous Charlemagne leur place marquée dans les plaids ou assemblées législatives et judiciaires, se trouvaient, pendant la féodalité, exposés à la rapacité des barons. Privés du secours de la loi, ils transigeaient et cherchaient un refuge dans l’association féodale.

Dans le Vivarais et le Languedoc qui s’intitulait pays de franc-alleu, quelques hommes libres réussirent à maintenir leur indépendance, mais le plus grand nombre tomba sous le vasselage et forma la classe des hommes liges.

Les serfs de corps appartenaient corps et biens à leurs maîtres qui pouvaient disposer d’eux, les vendre, les châtier toutes les fois, dit Beaumanoir « qu’il leur plaît, soit à tort, soit à droit, d’autant qu’il n’en est tenu à répondre qu’à Dieu. »

Les serfs de main-morte ou serfs de la glèbe, étaient libres de leurs personnes ; sur eux, le seigneur n’avait aucun pouvoir après qu’ils avaient acquitté les impôts et les rentes, mais ils restaient attachés à la terre dont ils partageaient le sort. Il leur était interdit de quitter la seigneurie, de se marier avec une personne étrangère, sans indemniser le seigneur. Ils n’avaient que l’usufruit de leurs biens et, à leur mort, le seigneur en héritait. Ils vivaient en hommes libres et mouraient en esclaves.

Les vilains ou tenanciers avaient plus de liberté individuelle ; ils pouvaient acquérir, succéder, disposer de leurs biens dans certaines limites, mais ils étaient obligés à des impôts et à la corvée ; porter de l’eau, abattre les bois, couper les blés, faucher, vendanger, curer les fossés du château, faire et réparer les chemins.

On peut dire que ces trois classes inférieures de la société n’avaient en partage que la servitude, le travail, la souffrance et l’abjection. Seuls les habitants de la ville épiscopale, Viviers, s’étaient maintenus dans la liberté romaine.

Le servage en Vivarais. - Le fondateur du prieuré de Rompon donne à l’abbaye de Cluny 12 serfs destinés à servir à perpétuité le monastère (977).

En 1256, Henri de Barrès, en vendant sa terre et son château, se réserve expressément 5 de ses hommes, serfs de corps, avec la faculté de les conduire dans le château-fort qu’il projette de construire.

En 1256, Guillaume de Contaignet vend un serf au prieur de Bonnefoy, pour la somme de 50 sols viennois.

Les archives de l’abbaye de Mazan nous fournissent un autre exemple de vente ou de donation semblable.

Peu à peu, les serfs de main-morte voient leur situation s’améliorer.

Ainsi le seigneur de Géorand, en donnant sa terre à l’abbaye de Mazan, demande le consentement des hommes de sa terre et réclame pour eux une indemnité de 50 sols de la monnaie du Puy. Ce seigneur avait depuis longtemps concédé à ses serfs le droit de pêche dans le lac d’Issarlès et la Loire et de pacage dans les pâturages du Mézenc.

Peu à peu, la prescription du sol s’établit entre leurs mains et la propriété foncière naquit pour eux. Alors, la cabane du serf avec le terrain environnant devint pour lui un héritage grevé d’impôts et de servitudes, mais qui ne put lui être enlevé.

Cependant, vers le XVe siècle, les deux tiers au moins des seigneuries du Vivarais possédaient encore des serfs taillables à merci, comme il résulte d’une double enquête juridique fait en 1358, aux cours royales de Boucieu-le-Roi et de Villeneuve-de-Berg. Les seigneurs prétendaient que leurs sujets taillables n’étaient pas astreints à payer les subsides royaux. Ils firent entendre par centaines, des témoins qui se reconnaissaient « hommes-liges comme leurs ancêtres, exploitables et corvéables à la volonté du seigneur qui prenait souvent, une fois, deux fois et plusieurs fois par an, si cela lui plaisait, une taille proportionnée à leurs facultés, pouvant au besoin les y contraindre par prise de corps ou par la saisie de leurs bêtes de charge et de trait lorsqu’il le jugeait bon. »

V. - L’an mil

La terreur générale. - Telle était la situation de notre province lorsqu’une terreur s’empara des esprits. Le bruit s’était répandu en Europe que le monde devait finir au moment où s’accomplirait la millième année du règne de Jésus-Christ, d’après une prédiction des prophètes Élie et Enoch.

« La fin du monde approche, lit-on dans les chartes ; chaque jour entasse de nouvelles ruines, moi, comte (ou baron) de..., voulant me rendre Dieu propice au jour de ses justices, j’ai donné une portion de mes biens à tel sanctuaire. »

Les donations pieuses. - Les donations aux églises ou monastères furent nombreuses dans toute l’Europe. En Vivarais, un riche et puissant personnage du nom de Seguin, fit don à l’abbaye de Cluny du lieu du Ruoms, dans la viguerie de Sampzon, ainsi que de 4 églises avec tous les biens, dîmes et revenus dont elles étaient dotées. De ces 4 églises, il en reste encore une, c’est celle de Notre-Dame des Pommiers près de l’église paroissiale actuelle de Ruoms (994).

Pavé mosaïque de Cruas
PAVÉ MOSAÏQUE DE CRUAS (L’AN MIL)

Le vicomte de Gévaudan donna, en 998, à l’abbaye de Saint-Chaffre, tout le domaine qu’il avait à Faugères, dans la viguerie de Bauzon.

L’an mil arriva sans que le vieux monde eût vacillé sur ses fondements, mais la terreur ne continua pas moins à régner dans les esprits, car on reporta la fatale échéance à l’an mil de la passion du Christ, soit en l’an 1033.

« Les calamités qui précédèrent cette dernière époque vinrent donner une sorte de consistance au préjugé et redoubler l’effroi populaire. Une peste furieuse désola la France. Les pluies persistantes ne permirent pas d’ensemencer et le peu de grains confiés aux sillons inondés ne produisit qu’un chaume stérile. Il s’ensuivit une famine telle que le genre humain fut menacé d’une destruction prochaine. Le muids de blé s’éleva à 60 sols d’or. Les riches éprouvèrent les privations de la misère, les pauvres furent réduits à manger l’herbe et les racines ; quelques-uns se laissèrent aller à manger des chairs humaines. »

Les donations aux églises furent encore très nombreuses. Une noble dame Gotolin demanda à l’archevêque d’Arles la permission de réédifier l’église de Cruas. L’édifice fut achevé en l’an 1012 ainsi qu’on peut le voir sur le pavé mosaïque qui décore ce sanctuaire.

Cette époque tant redoutée passa. La sérénité, la joie revinrent dans les esprits. Il n’était plus question de guerres et de vengeances privées : les excessives misères avaient adouci les cœurs. Profitant de cette accalmie et dans le but d’amener le maintien de la paix, Pierre, évêque de Viviers, assista à la réunion des prélats qui eut lieu au Puy (1004) et où l’on jeta les bases de la Paix de Dieu, appelée plus tard : Trêve de Dieu.


Note de la deuxième partie

  1. Viager : qui finissait avec la vie.

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