La Bouquinerie

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Gérard Bouchet
Meurtres dans les Baronnies

Le manuscrit de Sainte-Jalle

« Tu n’ouvriras ni ne feras ouvrir ce coffret. Ce qu’il contient est trop grand pour toi comme pour moi. Tu le remettras, ou tu le feras remettre, à un Commandeur de l’ordre dans une de nos maisons. Avec l’aide de Dieu, il saura que faire.» En 1188, à Jérusalem, Amaury de Mévouillon, jeune croisé, a reçu mission de rapporter en France un « trésor » que lui a confié frère Thierry avant la chute de la ville. En 2014, ce « trésor » réapparaît dans les Baronnies provençales. Des hommes vont mourir pour s’en emparer.

Gérard Bouchet, natif de Nyons, docteur en philosophie était jusqu’ici connu pour ses différents travaux sur la laïcité et pour ses écrits sur l’école dans la Drôme (1830-1880, Cinquante années qui ont fait l’école). Après Meurtre à Nyons qui eut un beau succès de librairie, il signe ici son deuxième roman policier régional.

« AUTOUR D’UN MANUSCRIT MÉDIÉVAL, UN TRÈS BON ROMAN POLICIER PASSIONNANT EN DRÔME PROVENÇALE », RENÉ SAINT-ALBAN.

DANS LA MÊME COLLECTION POLICIERE (PAR ORDRE DE PARUTION) : 24 MEURTRE(S) À... JAUJAC, RUOMS, VALENCE, LES VANS, ANNONAY, AUBENAS, NYONS, CRUSSOL, PRIVAS, DAVÉZIEUX, PEYREBEILLE, MONTÉLIMAR, CHOMÉRAC, CREST, TOURNON, VALS-LÈS-BAINS, ALISSAS, ROMANS, COUX, THUEYTS, BOURG-LÈS-VALENCE, VALLON-PONT-D’ARC, DIE, DANS LES BARONNIES... et L'ASSASSIN HABITE PRIVAS

192 PAGES.13 EUROS

 

EXTRAIT.

Du même auteur

Laïcité et enseignement - Armand colin - 1996
Laïcité : textes majeurs - Armand Colin - 1997
L'école dans la Drôme - 1830/1880 - Editions et Régions - 2006
Meurtre à Nyons - Une énigme au pays des olives - Editions et Régions - 2009

En collaboration avec Chantal Forestal

La laïcité par les textes, documents fondamentaux et matériaux d'enseignement - L'Harmattan - 2013
Tome 1 - La laïcité, genèse du concept
Tome 2 - La laïcité aujourd'hui, enjeux et controverses
Tome 3 - École et laïcité, un lien privilégie

Contributions à des ouvrages collectifs

Feu les écoles normales - L'Harmattan - 1994
Le Plan Langevin-Wallon. Une utopie vivante - PUF - 1998

En préparation

L'École dans la Drôme - 1880/1914
Meurtre à l'Hôtel de ville

 

Isbn : 978-2-84794-145-6

© E & R, ÉDITIONS ET RÉGIONS-LA BOUQUINERIE. VALENCE. 2014

TOUTE PHOTOCOPIE / REPRODUCTION INTERDITE.
Diffusion exclusive de plus de 395 titres
sur la Drôme et l'Ardèche par :
La bouquinerie. 77 avenue des Baumes. 26 000 Valence
www.labouquinerie.com

 

Prologue
La pluie qui tombe depuis des jours a défoncé les chemins et les sentes. Cheval et homme, s'extirpant pénible-ment de la boue, avancent pesamment au rythme lourd de leur commune fatigue.
Depuis Beaucaire, qu'ils ont quitté il y a bientôt une semaine, le ciel n'a pas cessé de fondre sur eux comme pour pleurer leur retour. Car, le retour d'Amaury n'est pas ce voyage de fierté dont toute la famille rêvait lors de son départ. Ce jour n'est pas jour de gloire. La demeure des Mévouillon ne résonnera pas de la grande fête qui, de générations en générations, a toujours réjoui le château pour célébrer la venue du seigneur et de ses fils après les expéditions guerrières qui les ont vus se couvrir de gloire.
Nous sommes au début de l'année 1188.
L'an dernier, Amaury de Mévouillon était en Terre Sainte, à la bataille de Hattin, là-bas, près du lac de Tibériade.
Non loin de l'endroit où Jésus a prêché et fait des miracles, l'armée de Saladin a défait les troupes du roi de Jérusalem. Guy de Lusignan a été fait prisonnier ainsi que le Grand-Maître du Temple, Gérard de Ridfort. Deux cent trente chevaliers, qui avaient survécu au terrible combat, ont été suppliciés par les vainqueurs. Le jeune Mévouillon n'a échappé à la capti-vité ou à la mort - ce qui aurait été, aux yeux de tous, un sort plus glorieux que la survie dans la honte de la défaite - que parce que le roi, voyant la bataille perdue, l'a choisi pour porter message en sa capitale avant que les infidèles ne s'emparent de la fine fleur de la chevalerie française.
Amaury a chevauché sans relâche. Il a rejoint la Ville pour en subir le siège et en vivre la chute.
Le sire d'Ibelin eut beau organiser et galvaniser ce qu'il restait de troupes, en septembre, la grande croix d'or qui dominait Jérusalem était abattue par les musulmans. Aux côtés des templiers et des hospitaliers de Saint-Jean, le jeune chevalier a été de ceux qui ont escorté hors de la ville les chrétiens libérés contre rançon, Puis, il a rejoint Tyr et s'est embarqué pour rentrer chez lui, meurtri par la défaite et honteux de la perte de la Ville sainte.
Aujourd'hui, de retour au pays, il chemine, tête basse.
Cadet, il était parti en Palestine avec des rêves de gloire plein la tête et une fortune à construire au tranchant de son épée. Il revient seul, dépouillé de tout, ayant laissé le corps de Guigues, son écuyer fidèle, livré aux bêtes sur le champ de bataille. Il a mort dans l'âme de n'avoir point donné sépulture chrétienne à son compagnon.
Il vient de franchir la clue d'Aulan.
La pluie s'est un peu calmée.
La silhouette de la grosse tour ronde, à l'extrémité méridionale du rocher qui porte le fort des Mévouillon, se devine à travers le rideau humide qui bouche l'horizon. Bientôt, il va franchir la porte sous la tour carrée. Le pont-levis abaissé lui ouvrira la cour de son enfance.
Son père, le cœur gros, dira sa honte du retour du fils vaincu. Mais, dans la chapelle froide, quand tous seront endormis, il ira, avec dame Randonne, sa femme, et Victorine la nourrice, remercier Dieu d'avoir bien voulu leur rendre leur enfant vivant. Sous le cuir du guerrier bat le cœur du père. Dans la cour, c'est le seigneur qui dit sa détresse de chevalier. Face à Dieu, c'est le père qui prie et remercie.
Amaury ne restera que peu de jours auprès des siens. Il a une mission à remplir.
Quelques jours avant la chute de la ville où Jésus était entré triomphant au jour de la Pâque, frère Thierry, commandant au couvent des templiers de la capitale du royaume, l'a fait venir au pied la croix, dans le chœur de l'église.
- Amaury de Mévouillon ! Mes frères m'ont promu Grand-Commandeur. Le Grand-Maître est prisonnier. Je suis donc en charge, à Jérusalem, de la sauvegarde des biens et des intérêts du Temple. Il ne m'est pas possible de faire quitter la Ville au trésor matériel de l'Ordre pour le mettre en lieu sûr. Je protégerai ce trésor jusqu'au terme de ma vie. Mais, il y a un autre trésor que je peux mettre à l'abri. Je te le confie. Jure devant la Sainte Croix de rapporter ce que je vais te confier à l'une des commanderies de notre ordre au royaume de France. Si tu es en péril de ne pouvoir accomplir cette mission, jure devant la Sainte Croix de confier à un homme sûr la tâche de la conduire à ta place. Ce que je te confie est un trésor essentiel.
Amaury a juré.
Frère Thierry lui a alors confié une cassette.
- Tu n'ouvriras ni ne feras ouvrir ce coffret. Ce qu'il contient est trop grand pour toi comme pour moi. Tu le remettras, ou tu le feras remettre, à un Commandeur de l'Ordre dans une de nos maisons. Avec l'aide de Dieu, il saura que faire. Tu n'es pas membre de notre Ordre. Tu n'es pas astreint à notre règle, mais tu es noble et je te sais digne de la mission dont je te charge. C'est au nom du Christ que je te confie la tâche de remettre cette cassette à qui saura quelle destination lui donner. C'est sur ton salut éternel que tu t'engages à protéger et à rapporter en terre de France le contenu de ce coffret.
Amaury a pris la cassette, jurant sur son salut qu'il accomplira la mission.
Frère Thierry a péri dans les derniers combats.
Nul ne sait la tâche qu'il a confiée au jeune Amaury de Mévouillon, fils cadet du baron du même nom qui gouverne une terre aride située à l'est du Rhône et au nord de la Durance. Nul ne lui ferait reproche de se dérober. Mais le jeune chevalier considère que tenir l'engagement pris devant Dieu, dans la chapelle du couvent de l'Ordre, et la promesse faite au vieux frère Thierry, l'engagent plus que tout. Il y va de son honneur de chevalier et plus, du salut de son âme.
Pris un rapide repos, reçu de sa mère un baiser sur le front, une bénédiction donnée par son père, Amaury repart dans l'hiver glacial. Même en Provence, cette saison peut être, parfois, d'une grande rudesse comme en ces années où le froid trop vif fait éclater le bois des oliviers. Seul, sans écuyer, il s'en va vers la commanderie de Richeren-ches s'acquitter de son devoir sacré.

 

 

 

 

1
Juliette Larmagna a toujours préféré la fréquentation des vieux papiers à celle de ses semblables. Elle est entrée dans l'admi---nistration des archives comme on entre dans les ordres. Les parchemins, les grimoires, les actes notariés, les traités et les conventions en langue ancienne sont l'unique horizon de ses intérêts, voire de ses pensées. Elle ne vit heureuse que parmi les anciens manuscrits qu'elle déchiffre et traduit en langue contemporaine avec une élégance qui séduit les érudits et ravit les chercheurs les plus expérimentés. Ses jours et ses nuits sont consacrés aux documents anciens. On comprend qu'elle soit restée " vieille fille " !
Attachée au service départemental des archives de la Drôme, son travail consiste à protéger et à exploiter le fonds médiéval ancien qu'elle enrichit régulièrement, à l'occasion des successions ou des ventes aux enchères, des pièces découvertes dans le patri-moine des familles. Elle n'a pas son pareil pour dénicher, dans les biblio-thèques de châteaux, les documents, souvent rares, dont les propriétaires acceptent de se défaire pour payer qui, la réfection d'un toit laissant passer l'eau du ciel qui, celle d'un mur menaçant ruine. Ces vieilles demeures, si attachantes, sont si onéreuses à entretenir qu'il faut souvent consentir à des ventes plusieurs années de suite pour faire face aux besoins. Lorsque le toit est réparé, c'est le mur qui s'écroule, et quand le mur est consolidé, c'est le toit qui se perce ! Juliette Larmagna surveille avec délec-tation les vicissitudes du patrimoine châtelain du sud-est.
Elle a su se mettre en relation avec les bouquinistes de la région qui, pour certains d'entre eux, bons dénicheurs de pièces rares, lui signalent ce qui pourrait l'intéresser dans leurs propres trouvailles et qu'ils ne souhaitent pas acquérir eux-mêmes, faute de clients potentiels. En retour, elle les fait bénéficier de sa propre expertise pour estimer, au plus juste, la valeur des pièces qu'ils mettent sur le marché.
Sa spécialité, c'est le moyen-âge provençal. Elle connaît presque par cœur la liste des grandes familles qui, au cours de siècles se partagèrent, s'échangèrent ou se disputèrent les territoires à l'est du Rhône, de la mer, au sud, aux limites de ce qui devait devenir un jour le Dauphiné, au nord. L'évolution des terriers des grandes abbayes ou des prieurés qui parsemaient alors le territoire n'a guère de secret pour elle. Elle est capable de donner, presque dans le détail, l'histoire des possessions des grands établis-sements cister-ciens comme ceux des " trois sœurs de Provence " : Sénanque, Le Thoronet et Silvacane, mais tout aussi bien celles d'abbayes moins connues comme Bodon au plateau de Saint-Laurent, sur la commune actuelle de Saint-May, ou de Saint-André-de-Rosans qui fut une grande place spirituelle au diocèse de Gap. Elle peut, quasi sans hésitation, exposer, sans note, la généalogie des deux grandes familles baronniardes qui firent l'histoire de la région : les Mévouillon et les Montauban et ce n'est pas une mince performance tant ces généalogies sont complexes.
Bref, Juliette Larmagna est un puits d'érudition, la providence des amateurs d'histoire locale en même temps que leur terreur, car elle ne tolère pas la moindre erreur dans les articles des revues que les amateurs d'histoire locale publient régulièrement.
*
Un bouquiniste valentinois, bien connu en Drôme-Ardèche pour être un grand écumeur de bibliothèques anciennes, vient justement de lui signaler l'existence, dans un vieux manoir délabré des baronnies, du côté du Buis, d'une série de documents qu'il dit être dans un état relativement bon, mais qu'il ne sait ni déchiffrer ni dater. Il lui semble qu'ils sont extrêmement anciens. Leur propriétaire, fort désargenté, semblerait prêt à s'en séparer pour peu qu'on lui en offre un prix raisonnable. Le caractère raison-nable de l'offre se me-su--re, pour lui, à l'aune des frais que vont entraîner les modifications du système de chauffage de son manoir qu'il souhaite financer par la cession de quelques papiers qui ne présentent pour lui que très peu d'intérêt.
Elle a pris rendez-vous, pour une première expertise rapide, avec le vieux monsieur qui détient ces pièces.
- Ça vaut quelque chose ? s'inquiète l'homme qui, en observant les mimiques et les regards gourmands de Juliette, estime déjà mentalement combien il va pouvoir remplacer de radiateurs dans les salles du château.
La dame ne répond pas à l'invite.
Elle questionne à son tour.
- D'où tenez-vous ces documents ?
- Je les ai toujours connus dans cette bibliothèque. Lorsque mon grand-père a acheté le domaine, il a trouvé le fonds de livres et de documents anciens en l'état où l'avait laissé le précédent propriétaire. Je me souviens d'avoir vu ces recueils parcheminés là où vous les voyez vous-mêmes aujourd'hui. Je suis incapable de vous dire depuis combien de générations ils y sont. Mon grand-père, comme mon père, ne s'intéressaient à ces vieilleries que pour leur valeur décorative et pour le prestige que leur possession leur conférait auprès de leurs amis. Ils étaient, l'un et l'autre, un peu snobs.
Juliette ne fait aucun commentaire. Elle poursuit son examen en silence.
Le monsieur toussote pour marquer qu'il est impatient d'enten-dre prononcer un chiffre.
Elle finit par parler, mais plutôt à elle-même qu'à l'impé-cunieux propriétaire qui a tort de montrer trop explicitement qu'il a besoin d'argent. Ce n'est pas la bonne manière pour faire monter les prix, surtout avec un fonctionnaire de l'État toujours serré dans ses budgets.
- C'est étrange. Il ne s'agit manifestement pas de papiers de famille. Il y a là un texte qui est écrit dans une langue qui semble être le latin que l'on pratiquait dans les milieux ecclésiastiques vers le douzième siècle, mais il y a aussi plusieurs feuillets qui pourraient être dans une langue beaucoup plus ancienne, et certai-nement pas latine, même d'une époque très archaïque. Le premier texte paraît expliquer l'origine des documents écrits dans cette langue inconnue de moi. Il faudrait que je prenne le temps de l'étudier très précisément pour pouvoir vous en dire plus.
Elle se replonge dans une lecture silencieuse.
- Alors ? Qu'en dites-vous, insiste le vendeur potentiel.
- J'en dis qu'il faut faire étudier cela de beaucoup plus près par des spécialistes plus compétents que moi.
- Certes. Mais combien cela peut-il valoir ?
- Je ne peux pas vous dire quoique ce soit de précis. Cela peut sans aucun doute intéresser un musée ou une université. Je ne sais pas s'il y aurait des amateurs pour ce type de document dont je ne peux pas dire exactement qu'elle est sa fonction et la date à laquelle il a été produit. Cela peut peut-être valoir très cher, mais peut-être aussi ne valoir que très peu. Je n'en sais vraiment rien.
- Vraiment rien, insiste l'homme, un peu dépité.
- Vraiment rien ! J'ai le sentiment que ce sont des pièces inté-res-santes, mais trop peu communes pour avoir une référence et avancer un chiffre sérieux. J'en suis désolée pour vous.
- Comment savoir ?
- En me confiant tout cela pour le remettre à des experts spécialisés qui diront exactement de quoi il s'agit.
Le vendeur ne paraît pas très enchanté par la proposition. Il pensait avoir une offre d'achat précise. L'hiver approche et il n'a pas envie de trop souffrir du froid cette année encore. L'hiver dernier a été pénible Avec l'âge, il est chaque année de plus en plus frileux, et le bois, lourd à manipuler, coûte de plus en plus cher pour, finalement, se chauffer de plus en plus mal. La mode des chaufferies au bois a fait monter le prix de ce combustible. Il est temps de passer à une autre source d'énergie, même si ce n'est pas à la mode et s'il y a des frais à engager.
- Combien de temps cela prendrait-il pour faire une exper-tise et trouver un acheteur ?
- Quelques semaines. Je sais à qui confier ce travail.
- Quelques semaines ?
- Oui. Je m'efforcerai d'accélérer les choses. Je suis moi-même très curieuse de savoir de quoi il s'agit. Ce pourrait être très intéressant et inattendu.
Le vieux monsieur fait la moue.
Un instant de silence. Il fixe Juliette dans les yeux.
- Dans ce cas ! Faites expertiser. Mais n'y aurait-il pas possibilité d'avoir une avance ?
- Évidemment non, monsieur ! Vous connaissez nos admi-nistrations. Sur quelle base pourrait-on calculer cette avance ? Là encore, je suis désolée. Je peux vous donner un récépissé de remise pour expertise, mais certainement pas de l'argent. Mais vous pouvez me faire confiance. Je vous remettrai ce qui vous revient si les choses sont dans les prix que je peux assumer.
- Si vous me dites qu'il n'y en a que pour quelques semaines… je peux bien attendre. Deux ou trois ?
- Six ou huit plutôt !
- C'est beaucoup !
- À vous de voir.
- C'est vu. Je vous confie une partie du lot pour expertise. Si ça vous intéresse vous prendrez le tout.
- D'accord.
- Faites-moi le récépissé de dépôt et tout est dit.
- Je vous remercie de votre confiance.
- Je vous en prie. Y a-t-il dans ces rayons quelque chose qui puisse vous intéresser dès aujourd'hui ?
Juliette sourit.
- Certainement ! Si vous permettez, je poursuis l'explo----ration de vos richesses !
- Explorez, explorez. Si vous trouvez votre bonheur : je suis vendeur.
Le vieux monsieur n'a vraiment pas le sens des affaires ! Ou alors, il est vraiment très frileux.
Juliette sait que, si elle trouve une pièce intéressante, elle l'aura pour un bon prix. Le monsieur a visiblement besoin d'argent. Les propriétaires préfèrent évidemment leur confort à la préservation de leur patrimoine. Heureusement qu'il y des gens comme elle, Juliette Larmagna, pour le conserver à leur place.
*
Pendant quelques heures, elle a fouillé, trié, déchiffré.
Pour quelques milliers d'euros, en plus des documents à expertiser pour lequel elle a donné un reçu, elle est repartie avec un certain nombre de pièces intéressantes.

À propos des documents contenus dans le portfolio, elle en sait un peu plus qu'elle n'a bien voulu le laisser paraître au vieux monsieur.
Elle n'en est pas absolument certaine, mais il lui semble bien que, dans le lot, outre la pièce en latin qui déclare les confier à un certain Amaury de Mévouillon, il y a des parchemins écrits en langue sémitique, probablement araméenne. Cette langue, qui était celle de Jésus au temps de ses prédications en Palestine, ne se parle plus guère que dans quelques villages syriens dans la région de Maalouda. Il est clair que si son impression première se confirmait, et que ces écrits datent, comme les documents en bas latin qui les accompagnent en donnent l'impression, de l'époque du début du christianisme, et qu'ils rapportent des faits relatifs à cette époque, on se trouverait en présence d'une découverte extraordinaire dont l'intérêt pourrait être énorme, tant pour l'archéologie que pour l'histoire de la Palestine, et sans doute, du christianisme.
Elle a tenté de ne rien laisser paraître de son émoi lorsque cette perspective s'est ouverte devant elle - et elle y est parvenue - mais, en faisant cette hypothèse, elle a senti une accélération de son rythme cardiaque.
Elle n'est pas experte des langues de cette région, mais elle a quelques notions reçues lors de son passage à l'École des Chartes.
Issue de l'alphabet phénicien, l'écriture araméenne a donné naissance aux alphabets arabe, hébraïque, syriaque et autres écritures curieuses de l'Asie centrale. L'écriture de ce peuple de commerçants s'était imposée comme l'écriture officielle de l'empire perse du grand Cyrus. Lorsque Cambyse II, le fils de Cyrus II, conquit l'Égypte, cette langue devint même la langue officielle de la nouvelle province. L'Hébreu d'aujourd'hui en découle directement.
Il fa ut donc absolument qu'elle s'adresse, et très rapidement, à un collègue spécialiste de ces langues moyen-orientales qui, en traduisant quelques éléments de ces textes, confirmera ou non son impression. Il faut qu'elle le fasse dans la plus grande discrétion, car, s'il s'avérait en effet qu'il s'agisse d'écrits concernant l'épo-que des prédications de Jésus-Christ, il ne fait pas de doute que l'on serait en présence d'une trouvaille archéologique de premier ordre et que la diffusion de cette découverte devrait être entourée de grandes précautions. En effet, tout ce qui concerne l'histoire de cette région troublée ne relève pas que de la connaissance scientifique pure. Elle touche inévitablement à la politique et peut donner lieu à des incidences diplomatiques. Juliette pense, sans se le dire explicitement, aux " manuscrits de la mer morte " trouvés dans les grottes de Qoumran. Elle éprouve l'excitation intellec-tuelle et le frisson, propres aux chercheurs, quand ils mettent la main sur une chose exceptionnelle. En rentrant sur Valence, au risque de faire une faute de conduite, elle ne peut s'empêcher de poser régulièrement son regard sur la serviette qui contient les précieux papiers et qu'elle a précautionneusement posée à côté d'elle, sur le siège du passager, alors qu'elle la jette d'ordinaire négligemment sur le siège arrière de sa petite Clio.
Juliette vit un moment d'émotion d'une intensité sans pareille. Elle se dit qu'aucun homme n'aurait jamais pu lui en donner de tel. C'est dans ce genre de moment-là qu'elle regrette, moins que jamais, son célibat.
Dès son retour à Valence, elle s'attaquera, toutes affaires cessantes, à la traduction du document d'accompagnement. Dès que possible, elle prendra contact avec un de ses anciens condisciples aux Chartes. Le plus difficile sera, pour elle, d'adopter une attitude de grande sérénité pour cacher à ses collègues l'excitation qui est la sienne. Elle ne voudrait passer pour ridicule si les documents s'avéraient être des faux. Et s'ils sont authentiques, elle veut se donner le temps nécessaire pour gérer la suite des opérations : la négociation avec le propriétaire, l'étude approfondie des documents, la rédaction de la communi-cation qui présentera ses découvertes et les conditions de leur publication.

Juliette Larmagna ne sait pas qu'elle n'aura pas le loisir de conduire à bien le programme qu'elle élabore ainsi en rentrant dans le chef-lieu drômois.

 

 

 

 



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